Préparé par: Marie-Josée Gagné, M.A., Nathalie Lafranchise, Ph.D, Maxime Paquet, Ph.D
1. Introduction
Le groupe de codéveloppement professionnel (GCP) est un lieu où l’expérience et l’action sont valorisées comme sources d’apprentissage (Payette et Champagne, 2010). Pour que ces apprentissages puissent être optimisés et que le groupe dépasse la simple résolution de problème, la personne animatrice doit intentionnellement les susciter en adoptant une posture d’accompagnement (Lafranchise, Paquet et Cadec, 2016; Paquet, Lafranchise, Gagné et Cadec, 2017). Cette posture nécessite bien entendu des savoir-faire et des savoir-être, mais elle requiert également certaines connaissances, notamment au niveau des styles d’apprentissage. Ces connaissances lui permettront d’adapter son style d’animation et de personnaliser son accompagnement auprès de ses participant.e.s en tenant compte des différents styles présents dans son groupe. C’est sur cet aspect que nous nous concentrerons dans ce texte.
Nous définirons d’abord le concept d’apprentissage et nous détaillerons ensuite les styles et le cycle d’apprentissage selon Kolb (1984). Afin d’offrir un portrait plus large, nous présenterons enfin les styles d’apprentissage selon Orly-Louis (1995).
2. Une définition de l’apprentissage
Parler des styles d’apprentissage sans définir ce qu’est l’apprentissage serait dénué de sens. Nous pourrions d’abord dire que l’acte d’apprendre est complexe et que l’apprentissage est situé, en ce sens qu’il se construit dans un environnement spécifique et en lien avec les caractéristiques de la personne apprenante (Chevrier, Fortin, Leblanc et Théberge, 2000). Bref, l’apprentissage est une forme d’adaptation à notre monde et à notre environnement.
L’apprentissage possède différentes dimensions : émotionnelle, cognitive, comportementale, motivationnelle (Dejoux, Ansiau et Wechtler, 2006). Il va donc sans dire qu’une personne animatrice de GCP doit prendre en compte chacune de ces dimensions lorsqu’elle accompagne son GCP. Par exemple, le questionnement dans les trois sphères (situation, contexte, personne) lors de l’étape 2, permet de considérer chacune des dimensions des styles d’apprentissage. Il est donc de la responsabilité de la personne animatrice d’inciter les consultant.e.s à bien couvrir ces trois sphères lorsqu’il ou elle questionne le client ou la cliente.
Selon Kolb (1984), l’apprentissage est un processus continu ancré dans l’expérience, plutôt qu’un résultat. Il parle donc d’apprentissage expérientiel. Dans cette optique, les idées n’étant pas immuables, elles sont formées au fil des expériences vécues par la personne apprenante. Par conséquent, il est impossible de prévoir quel sera le résultat de l’apprentissage.
Le processus d’apprentissage expérientiel sera facilité par :
- la mise en relief des croyances et des théories d’usage de l’apprenant (façons de faire);
- l’exploration et l’examen de ces théories d’usage;
- l’intégration de nouvelles théories d’usage ou idées raffinées dans le système de croyances de l’apprenant.
Les nouveaux apprentissages résultent donc de l’addition d’idées nouvelles, mais stables, pour comprendre un phénomène et faire évoluer ses pratiques (Kolb, 1984). C’est grâce aux interactions avec les autres et le partage d’idées et d’expériences qui se confrontent, que peuvent émerger ces nouveaux apprentissages. Cette confrontation provoque ce que l’on appelle des conflits sociocognitifs chez les participants (Lafortune, 2008). Autrement dit, ce que chacun.e avait construit individuellement dans sa tête est alors, en quelque sorte, déstabilisé momentanément pour laisser la possibilité d’introduire de nouvelles idées ou significations menant éventuellement à faire évoluer ses connaissances et ses pratiques. Ce processus d’apprentissage se produit fréquemment en contexte de GCP. En effet, lorsque les personnes sont exposées à de nouvelles idées, il est possible qu’elles changent la signification qu’elles se font d’une situation, donc qu’elles construisent de nouvelles façons de comprendre et d’interpréter cette situation. Ce changement de signification peut alors mener vers un changement d’attitude et de pratique lorsque le contexte le permet.
Kolb (1984) propose un modèle pour comprendre le cycle d’apprentissage selon quatre phases qui reflètent également des styles d’apprentissage; ce qui suit les met en lumière.
2.1 Le cycle d’apprentissage selon Kolb (1984)
Kolb (1984) souligne que l’apprentissage est un cycle comportant quatre phases. De manière générale, chaque personne apprenante aura une préférence pour certaines de ces phases. Le cycle des phases d’apprentissage de Kolb (1984) se détaille comme suit :
- expérience concrète d’une action ou d’une idée;
- observation de façon réfléchie et attentive;
- conceptualisation abstraite et théorique;
- mise en application de l’idée ou de l’action en fonction de l’expérience initiale.
La combinaison de ces phases donne lieu à quatre styles d’apprentissage.
2.2 Les styles d’apprentissage
En combinant les phases deux par deux, Kolb (1984) définit quatre styles d’apprentissage. En voici une description :
Le divergent préférera les phases 1 et 2. Il est imaginatif et s’intéresse aux gens et aux émotions.
L’assimilateur préfère, pour sa part, les phases 2 et 3. Il a du plaisir à créer des modèles théoriques et s’intéresse moins aux gens et aux applications pratiques des connaissances.
Le convergent se retrouve dans les phases 3 et 4. Le convergent préfère composer avec des objets plutôt que des gens. Il a l’esprit pratique et a tendance à être moins émotif.
L’accommodateur s’identifie aux phases 1 et 4. Il est très intuitif et cela lui sert à trouver de nouvelles solutions aux problèmes. Il s’adapte facilement à de nouvelles situations.
La Figure 1 illustre le cycle et les styles d’apprentissage de Kolb (1984).
Figure 1. Le cycle et les styles d’apprentissage (Kolb, 1984)
Une même personne peut adopter plus d’un style d’apprentissage, mais c’est celui qui représentera sa préférence directement observable qui influencera son propre style (Kolb, 1984; Olry-Louis, 1995).
Orly-Louis (1995), s’appuyant sur les travaux de Kolb (1984) et de Sternberg (1988), a également développé une typologie des styles d’apprentissage telle qu’exposée dans ce qui suit.
3. Les styles d’apprentissage selon Orly-Louis (1995)
Olry-Louis (1995) définit les styles d’apprentissage selon sept catégories regroupées en trois domaines. Le Tableau 1 les énumère en indiquant comment un animateur ou une animatrice de GCP peut prendre en compte chaque style dans son animation.
Tableau 1. Les styles d’apprentissage selon Olry-Louis (1995)
Domaine | Style d’apprentissage | Caractéristiques | Animation d’un GCP |
Traits personnels | Conformisme |
Préférence pour enseignement magistral Méthodique Besoin de structuration dans l’enseignement |
Inclure des capsules théoriques lors des rencontres de GCP.
S’assurer d’appliquer correctement la méthode du GCP. |
Indépendance | Préférence pour enseignement libéral, peu directif, qui laisse la personne apprenante s’organiser elle-même | Faire preuve de flexibilité dans la méthode de GCP. | |
Sociabilité | Besoin de travailler avec ses pairs
À l’aise dans des situations de conflits sociocognitifs |
Ces caractéristiques sont directement reliées à la méthode de GCP. | |
Comportements d’apprentissage | Réfléchi | Privilégie la conceptualisation
Considère une situation sous des angles variés Apprécie les brainstormings Doué pour imaginer, comprendre les gens, identifier les problèmes |
Accorder suffisamment de temps pour les étapes 2 et 4.
Inviter les consultant. e. s à poser des questions réflexives ou puissantes. S’assurer que les trois sphères de questionnement sont couvertes. |
Actif | Appropriation par la manipulation du matériel à apprendre
Capacité de prendre des décisions optimales rapidement Esprit pragmatique Raisonnement par déduction Bonne capacité à définir et résoudre les problèmes |
Demander aux participant. e. s d’élaborer leurs idées, d’expliciter le raisonnement derrière leurs affirmations.
Mettre l’accent sur le plan d’action du client ou de la cliente à l’étape 5. À l’étape 6, mettre l’accent sur le réinvestissement des apprentissages. |
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Contenus privilégiés | Local | Focalisation sur un élément à la fois
Mise en œuvre de stratégies analytiques |
Laisser des temps de réflexion entre les étapes.
Laisser du temps pour la prise de notes. S’assurer que toutes les questions ont été posées à l’étape 2. |
Global | Focalise sur un élément à la fois
Met en œuvre des stratégies analytiques |
Soulever les apprentissages réalisés pendant la séance. Effectuer une synthèse des apprentissages réalisés pendant la séance. Établir des liens avec des éléments externes. |
4. En conclusion
Connaître son propre style d’apprentissage ainsi que celui des participants de son GCP peut permettre à la personne animatrice de mieux exercer son leadership d’accompagnement. En effet, en prenant en compte les différents styles d’apprentissage, elle ajustera, d’une part, sa manière de communiquer avec ses participant.e.s en variant sa manière de transmettre des savoirs. D’autre part, elle proposera différentes activités complémentaires aux séances de GCP, afin de stimuler des apprentissages faisant appel à différents styles. Elle alternera entre des moments d’échanges et de réflexions lors des séances. Elle pourra aussi mieux cibler les questions qu’elle adressera aux personnes participantes dans le but de favoriser leur réflexion et en prenant en compte les différentes dimensions de l’apprentissage. Tous ces moyens permettent d’exercer son leadership d’accompagnement et ainsi, dépasser la simple résolution de problème.
5. Références
Chevrier, J., Fortin, G., Leblanc, R. et Théberge, M. (2000). Problématique de la nature du style d’apprentissage. Éducation et francophonie revue scientifique virtuelle, 28(1), 3‑19.
Dejoux, C., Ansiau, D. et Wechtler, H. (2006). Compétences émotionnelles et capacités d’apprentissage des dirigeants: Le cas d’une entreprise française de service. Revue internationale de psychosociologie, 12(28), 165‑189.
Kolb, D. A. (1984). Experiential learning: experience as the source of learning and development. Englewood Cliffs, N.J : Prentice-Hall.
Lafortune, L. (2008). Un modèle d’accompagnement professionnel d’un changement: pour un leadership novateur. Québec, Québec: Presses de l’Université du Québec.
Lafranchise, N., Paquet, M. et Cadec, K. (2016). Et si on accompagnait les animateurs ? Revue RH, 19(2). Repéré à https://ordrecrha.org/ressources/developpement-competences/2016/05/codeveloppement-professionnel-et-si-on-accompagnait-les-animateurs
Olry-Louis, I. (1995). L’évaluation des styles d’apprentissage – construction et validation d’un questionnaire contextualisé. L’orientation scolaire et professionnelle, (24), 403‑423.
Paquet, M., Lafranchise, N., Gagné, M.-J. et Cadec, K. (2017). La rétroaction . Une manière de développer une posture de leadership d’accompagnement chez des personnes animatrices de groupes de codéveloppement. Dans M. Saint-Jean, N. Lafranchise, C. Lepage et L. Lafortune (dir.), Regards croisés sur la rétroaction et le débriefing : accompagner, former et professionnaliser (p. 57‑76). Québec: Presses de l’Université du Québec.
Payette, A. et Champagne, C. (2010). Le groupe de codéveloppement professionnel. Sainte-Foy, Québec : Presses de l’Université du Québec.
Sternberg, R. J. (1988). Mental self-government: a theory of intellectual styles and their development. Human development, 31(4), 197-224.